Le courage de déplaire (dimanche, 17 janvier 2010)
Le pape a mauvaise presse: oui, cela, tout le monde le sait. Mais qu’y a-t-il derrière ? Est-ce, à travers lui, l’Église qui a mauvaise presse ? Ou bien la figure de la papauté comme autorité ?
C’est à cette question que tente de répondre l’auteur dans un livre d’entretiens avec l’éditeur Marc Leboucher (1).
Les papes d’aujourd’hui vivent dans le monde des médias. Ils doivent penser à leur image. Jean-Paul II possédait le don de séduire. Ce qui pourtant n’est pas essentiel : la foi passe-t-elle par la séduction ? Non. Même si une forme de charisme peut jouer dans la pastorale, il y faut bien davantage. Cependant, qu’il le veuille ou non, un pape aujourd’hui a en quelque sorte une image à défendre.
Celle du pape Benoît XVI tient à plusieurs faits. Avant d’être pape, Joseph Ratzinger avait été préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, héritière de la Congrégation de l’Inquisition. De quoi faire frémir les journalistes. Ses discours contre le nihilisme et le relativisme confirment cette image : parce qu’il est conservateur, les médias le décrivent tout naturellement comme un intégriste. Lorsqu’il est élu, c’est un écoeurant festival. Ratzinger est allemand et, en tant que tel, il a été enrôlé en 1941, à 14 ans, dans les Jeunesses hitlériennes. La photo passe en boucle, laissant entendre que le Saint-Esprit a élu un pape nazi. La reductio ad hitlerum est l’argument décisif de tant d’imbéciles : les Guignols de l’info l’appellent "Adolf II".
Autrement dit, parce qu’il est conservateur, le pape Benoît XVI devient nazi : une antienne. Et cependant, comme le dit Bernard Lecomte, un pape pourrait-il être autre chose que conservateur ? Certes, au sens où il est le gardien des dogmes, sinon pourquoi l’institution de l’Église ? Mais bien davantage, dirais-je, au sens où l’Église veut défendre contre vents et marées, derrière le Christ, une image de l’homme dont la modernité voudrait se débarrasser en instituant un nouvel homme artificiel, construit par notre volonté prométhéenne – et digne, parfois, des caprices monstrueux de Frankenstein.
Le fait est que la vindicte qui s’attache au pape actuel est particulièrement vivace en France, où la culture religieuse est pratiquement descendue sous zéro, et où la culture antireligieuse a acquis de véritables lettres de noblesse. Dès qu’un pape se rend en France, les médias se déchaînent pour reprocher aux autorités le coût du voyage. Il existe dans notre pays, issu de la laïcité militante, un fort antichristianisme, auquel s’expose d’autant plus un pape conservateur.
La société contemporaine, qui n’a plus pour religion que celle des droits de l’homme, entend ceux-ci de façon exclusivement individualiste. Pour elle, respecter les droits, c’est respecter le désir de chaque individu, sans s’occuper de savoir si son désir est aberrant, contre-nature ou même criminel. C’est pourquoi le discours de l’Église sur la morale revient à une gifle, à une provocation majeure. La morale est hétéronome, elle nous impose de l’extérieur des lois que nous n’avons pas construites, et cela répugne à notre toute puissance. Et pourtant, quand le pape, à l’indignation générale, parle du préservatif en Afrique, il est aussitôt confirmé par des gouvernements africains, qui connaissent leur affaire.
Il y a aussi que ce pape est un intellectuel et, à ce titre, il n’a pas de réticence à exprimer le fruit de ses réflexions, en cherchant l’objectivité bien davantage que l’acquiescement consensuel. Et quand il parle de l’islam, il se moque de déplaire pourvu qu’il dise vrai. Oubliant, peut-être, qu’en tant que pape il lui faudrait se méfier des interprétations belliqueuses de son discours.
Bernard Lecomte précise à juste titre que la mauvaise presse du pape provient tout simplement de ce qu’il se tient en général au-dehors de ce qu’il faut dire. Mais il est bien cocasse de voir Marc Leboucher entonner à notes hautes le couplet contre les moutonniers du politiquement correct, lui qui manifeste dans la vie une peur panique de ne pas penser comme tout le monde.
Au temps du communisme, nous avons reçu Jean- Paul II, un soldat, et c’était bien d’un soldat que nous avions besoin. À présent, le défi n’est plus de battre un totalitarisme vénéré même par nos pairs, mais de récuser un nihilisme qui emporte dans ses rets nos propres enfants. Benoît XVI est providentiel pour cette tâche-là. Il sera critiqué sans relâche, et nous avec. Que cette mise en cause permanente développe en nous l’humour plutôt que l’aigreur: c’est tout ce qu’on peut souhaiter.
Un article de Chantal Delsol
(1) Pourquoi le pape a mauvaise presse, entretiens de Bernard Lecomte avec Marc Leboucher, Desclée De Brouwer, 204 pages, 16 €.
Paru dans Valeurs actuelles, 7 janvier 2010
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